La pêche du black-bass pendant sa période de reproduction est un sujet qui fait beaucoup débat en France avec, grossièrement, deux camps bien distincts qui s'opposent : les intégristes et ceux qui n'en ont rien à faire. A titre personnel, on pourrait me considérer comme un intégriste. Je vais simplement vous donner ma vision des choses, chacun fait comme il veut, puisque malheureusement aucune réglementation à l'échelle nationale n'encadre la pêche du bass à cette période. Seules certaines AAPPMA et Fédérations Départementales ont une politique de protection du black-bass à cette période. On ne peut que les en féliciter, d'autant plus que les résultats sont là et les pêcheurs très satisfaits.
A titre personnel, j'estime qu'il n'est pas aberrant, voire même logique, de laisser du répit à une espèce durant sa période de reproduction. C'est le cas pour le brochet ou la truite, qui sont les espèces patrimoniales par excellence et donc mieux protégées par le code de l'environnement et la loi pêche. En effet, comme d'autres espèces exotiques introduites en France, le bass souffre lui aussi de discrimination du fait de ses origines... Notre pauvre Yankee a du souci à se faire à chaque ouverture de la pêche !
La science dans tout ça ?
Capture et stress
De plus, de par le comportement défensif du mâle protégeant le nid puis les alevins, les bass sont particulièrement vulnérables à cette période. Outre le problème évident du prélèvement sur frayère qui condamne le géniteur et sa ponte toute entière, le simple fait de pêcher le poisson sur nid va générer un stress, le mâle percevant cette intrusion comme une menace.
Au stimulus défensif s'ajoute la fatigue et le stress de la capture (s'il y a capture évidemment). Bien qu'un black-bass retourne dans 90% des cas sur son nid après capture avec remise à l'eau, celui-ci sera affaibli et défendra moins son nid face aux prédateurs. En effet, la capture va générer des changements comportementaux et physiologiques sur l'individu capturé.
Chez les poissons, il est notamment possible de quantifier le stress via mesure des taux de cortisol et d'adrénaline dans le sang. Cela constitue la mesure directe du stress lié à la capture. Ainsi, il a été démontré qu'un combat rapide suivi d'une exposition brève à l'air, permettent de limiter le pic de stress et de fatigue. Donc si vous capturez par mégarde un black-bass, manipulez-le avec attention afin de limiter votre impact sur ses capacités de garde.
L'opportunisme des poissons mangeurs d'oeufs
Parmi les autres effets directs de la capture sur la ponte cette fois, des études vidéo ont montré l'opportunisme des mangeurs d'œufs qui se jettent sur le nid lorsque le mâle se fait capturer. Ainsi, pendant quelques minutes ils peuvent profiter d'un buffet à volonté, faisant chuter le taux de survie de la ponte. Cela est d'autant plus important à chaque fois que le mâle se fait capturer, car oui il arrive souvent qu'un poisson sur nid se fasse prendre plusieurs fois, augmentant à chaque fois sa fatigue et son stress.
Abandon du nid et des alevins
La fatigue et le stress consécutifs de ces évènements peuvent mener à l'abandon du nid voire à la mort du bass s'il a été mal manipulé et pris à répétition. D'autre part, il a été observé que des mâles stressés avaient tendances à abandonner la boule d'alevins plus tôt que des mâles en bonne condition, faisant donc chuter le taux de survie de leur progéniture. L'intensité et la durée de défense des alevins sont donc nettement influencées par les stress subi par le poisson, qu'il s'agisse de prédation ou de pêche.
"Effet parental" et transmission transgénérationnelle
Et ce n'est pas tout... Car le géniteurs stressé va transmettre un message transgénérationel non-génétique, via "l'effet parental". Il en résulte généralement une altération négative des taux de croissance et de survie chez les juvéniles. Cependant, l'effet indirect de la pêche des géniteurs sur le recutement des juvéniles est encore insuffisamment documenté, le nombre de facteurs entrant en compte étant très élevé, ces expérimentations nécessitent des conditions spécifiques pour avoir lieu.
Le cas du black-bass en France
A ce constat s'ajoute notre contexte français avec de petits milieux et des populations fragiles. Il paraît donc important de leur offrir un peu de calme à cette époque de l'année (avril-mai-juin), afin de maximiser les taux de survie à la reproduction et pérenniser nos populations.
Il faut savoir que le taux de mortalité sur la période œuf-alevin-juvénile est de plus de 99.98%. A terme, un nid ne produira probablement que 2 ou 3 poissons en capacité de se reproduire. Les chances de survie extrêmement faibles peuvent donc être annihilées par la pression de pêche. Le jour où nous aurons suffisamment de bass, peut-être que ces questions purement éthiques n'auront plus autant de sens, comme dans bon nombre de pays. Néanmoins, même aux Etats-Unis où le contexte est bien différent, de plus en plus de pêcheur choisissent de ne plus pêcher sur nid par éthique et respect envers ces magnifiques poissons.
La repro du Bass, une période idéale pour l'observation
C'est une superbe période pour observer la parade et la défense du nid. Il faut parfois savoir poser la canne, sortir l'appareil photo et profiter de ce spectacle de la nature ! D'autant plus que le bass à l'avantage d'être une espèce pouvant se pêcher tout le reste de l'année, alors autant aller taquiner nos truites et brochets dont la pêche en domaine public vient juste d'ouvrir.
Si vous êtes intéressé par le black-bass et que vous souhaitez vous investir autour de cette espèce, je ne peux que vous recommander l'association Black-Bass France et sa bande de passionnés !